Gilles Ferran et sa fille Madeline dirigent ensemble le magnifique Domaine des Escaravailles à Rasteau, considéré à juste titre comme l’un des meilleurs producteurs du Rhône méridional. Leur amour commun du vin est la clé de leur succès.
C’est ainsi que j’accueille Madeline et son père Gilles par un jeudi après-midi bruineux, derrière l’ordinateur. Car il pleut aussi à Rasteau. “C’est une bonne chose pour le vignoble qu’il pleuve beaucoup en ce moment, mais il n’y a pas encore eu de froid et le vignoble en a aussi besoin”, explique Gilles. “Sinon, les vignes se réveillent trop tôt.
L’influence de la nouvelle génération
De part et d’autre de l’écran, nous sommes assis, prêts, avec des bouteilles que nous dégusterons ensemble plus tard. C’est comme dans la réalité. Mais je suis d’abord curieux de savoir comment l’histoire du Domaine Escaravailles a commencé. J’aimerais aussi savoir comment se présente l’avenir, maintenant que Madeline est active sur le domaine depuis quelques années. Comment la nouvelle génération affecte-t-elle la famille Ferran ? Gilles explique que son grand-père était directeur d’un des plus gros producteurs du Vaucluse. Ils possédaient 1 500 hectares de vignes et le propriétaire était également intéressé par des terres autour de Rasteau.
Jean-Louis Ferran entend parler d’un terrain d’altitude à vendre dans la région. Mais la route qui y mène est à peine praticable, il n’y a pas d’eau, pas d’électricité et même pas de vigne. L’affaire tombe donc à l’eau, mais le grand-père Ferran demande s’il peut l’acheter pour lui-même, et c’est ce qui se passa. La maison n’est guère plus qu’une ferme délabrée, avec un abri pour les moutons. Mais le cadre est d’une beauté à couper le souffle, avec des vues sur la vallée, le Mont Ventoux et les Dentelles de Montmirail.
Pour l’acheter, il vend sa voiture et emprunte de l’argent. Petit à petit, il rénove l’endroit et le rend habitable. En 1963, ses deux fils, dont le père de Gilles, commencent à planter des vignes. En 1964, ils achètent leur premier tracteur. Pour rembourser le prêt initial, les frères vendent dix hectares de vignes et doivent repartir de zéro. Les temps sont durs. D’autant plus qu’en 1973, une forte gelée détruit le vignoble et aucun vin ne peut être produit cette année-là. Heureusement, la mère de Gilles, enseignante, et sa tante, coiffeuse, veillent à ce qu’il y ait au moins du pain sur la table. Petit à petit, de nouvelles vignes sont plantées et des terrains sont achetés. Avec le raisin, les frères produisent leur propre vin, qu’ils vendent aux maisons de négoce locales. Ceux-ci les mettent ensuite en bouteille et les commercialisent.
En 1988, Gilles, devenu œnologue, est venu travailler au domaine. À l’époque, le domaine compte 45 hectares de vignes. Au fil des années, Gilles achète 20 hectares supplémentaires par l’intermédiaire de la famille de sa mère, dont de belles parcelles anciennes, plantées en 1947. Avec l’arrivée de son ami d’université Philippe Cambie, qui deviendra plus tard l’un des consultants en vin les plus connus de France, les choses changent au domaine. Gilles : “Grâce à l’intervention de Philippe, mon père nous a donné de plus en plus d’espace dans la cave. Littéralement aussi : l’agrandissement de la cave nous a permis de travailler mieux et plus qualitativement. Sur la suggestion de Philippe, nous avons commencé à récolter des fruits plus mûrs. Jusque-là, nous vendions encore la plupart de nos vins à des négociants, qui nous demandaient surtout des vins puissants. Avec Philippe, les vins ont gagné en finesse et en complexité, et nous avons commencé à les mettre en bouteille nous-mêmes à partir de 2003”. Au grand dam de Gilles et Madeline, la collaboration avec Philippe s’est arrêtée à son décès fin 2021.
Les deux frères façonnent le domaine et le font grandir, mais c’est surtout le père de Gilles et plus tard Gilles lui-même qui y travaillent. Lorsque je demande à Madeline comment elle voit l’avenir, elle me répond qu’elle aimerait réduire la taille du domaine et faire en sorte que l’héritage de son oncle aille à ses enfants. Madeline : “Avec nos méthodes, le domaine est en fait trop grand pour nous aujourd’hui. Je souhaite également passer complètement à la viticulture biologique ; notre méthode est déjà largement biologique, mais je veux être certifiée. J’aime les vins avec une expression de fruit pure, sur la finesse et l’élégance.
Mais il y a bien d’autres choses qui me préoccupent : par exemple, nous voulons faire encore plus de progrès dans le vignoble. Avec les drones et l’analyse des parcelles, on peut aujourd’hui bien mieux suivre l’état de santé du vignoble. L’année dernière, par exemple, il a fait très sec et certaines parties du vignoble ou des vignes en ont beaucoup souffert. Nous voulons adapter le travail de la vigne pour chaque parcelle en conséquence. Par ailleurs, avec le décès de Philippe Cambie, nous avons dû chercher un autre consultant. Papa m’a laissé le soin de le faire ; il estimait qu’il était important que ce soit quelqu’un avec qui je me sente à l’aise. Nous avons trouvé quelqu’un de très bien, Guillaume Vally, du groupe ICV, ancien collègue de Philippe. Quelqu’un qui, comme moi, recherche l’élégance. Philippe était un peu plus axé sur la puissance et la concentration à cet égard. Cela va donc aussi apporter un peu de changement.”
Gilles : “Le plus important, c’est que Madeline ait vraiment un grand amour du métier. Sans cela, ça ne marche pas, les journées sont trop longues et le travail trop dur. On ne fait ce métier que par passion, pas par obligation. Je ne lui ai jamais demandé de rejoindre l’entreprise, c’est vraiment venu d’elle. C’est pourquoi j’ai une grande confiance en elle.”